Sunday, September 10, 2006

Chaque jour, l’armée israélienne bombarde le territoire de Gaza, dont elle s’est retirée l’été dernier. Des civils sont tués alors que les Etats-Unis et l’Union européenne maintiennent leur blocus contre le peuple palestinien. Pendant ce temps, des millions de Palestiniens de la diaspora continuent de vivre dans des camps, notamment au Liban, où, malgré quelques améliorations récentes, leur sort reste précaire.

Par Marina Da Silva Journaliste.
L’attentat qui a frappé un responsable du Djihad islamique palestinien et son frère à Saïda, chef-lieu du Liban sud, le 27 mai, a ravivé le processus de déstabilisation que connaît le pays. D’autant que, le lendemain, l’armée israélienne a effectué des bombardements (sans précédent depuis son retrait, le 25 mai 2000) sur la bande frontalière, dans la Bekaa et près de Beyrouth, en riposte à des tirs de roquette imputés au Hezbollah et au Front populaire de libération de la Palestine - Commandement général (FPLP-CG) de M. Ahmed Jibril ; ce qui a relancé le débat autour du désarmement du Hezbollah et des Palestiniens. Oubliés de l’histoire et des négociations, ces derniers, qui pour la plupart vivent dans des camps, se voient à nouveau propulsés sur le devant de la scène politique, où ils tentent de faire valoir le droit au retour auquel ils n’ont jamais renoncé.
« Les camps de réfugiés, et Aïn Héloué tout particulièrement (1), sont régulièrement présentés par la presse nationale et internationale comme des zones de non-droit qui abriteraient des criminels et des extrémistes islamistes, s’énerve l’une des habitantes, Khadda. Mais le camp, c’est nous : plus de quarante-cinq mille personnes, attachées à leur identité et à leur histoire ; et non quelques incontrôlables, tout au plus deux cents, qui sont aussi le produit d’une précarisation et d’une impasse politique. » Elle est la première à redouter les tensions et les conflits armés qui minent le camp, le plus grand du Liban, en bordure de Saïda. Elle a d’ailleurs fini par s’installer à l’extérieur, mettant en péril l’équilibre familial : son mari, qui tient un petit commerce, demeure sur place, et ses enfants reviennent systématiquement au camp chaque fin de semaine. Mais, plus que des accrochages, Khadda est surtout fatiguée de l’étranglement économique d’Aïn Héloué, de la misère qui s’affiche ostensiblement dans les ruelles étroites et insalubres, et dans les maisons en lambeaux, servant de terreau à la radicalisation islamiste.
L’invasion israélienne de 1982 et le départ forcé de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) et de ses combattants ont marqué un tournant. L’organisation fournissait en effet du travail à près de 65 % des Palestiniens et assurait le financement de structures sanitaires et éducatives également ouvertes aux populations libanaises démunies. De plus, les Palestiniens du Liban ont eu le sentiment d’être les oubliés des accords d’Oslo de 1993, l’OLP concentrant ses efforts diplomatiques sur la Cisjordanie et Gaza. Enfin, les fonds des pays européens ont été détournés vers ces territoires, et les budgets que l’United Nations Relief and Works Agency for Palestine Refugees in the Near East (UNRWA – office de secours des Nations unies (2)), les agences des Nations unies et les organisations non gouvernementales (ONG) internationales consacraient au Liban ont été drastiquement réduits. Les camps, touchés de plein fouet par la guerre et les difficultés économiques, sont devenus des espaces de repli.
Les organisations islamistes, principalement le Djihad islamique et le Mouvement de la résistance islamique (Hamas), ont su se tourner vers les couches les plus pauvres de la population en leur fournissant une assistance matérielle qui fait cruellement défaut. Le Hamas a su profiter de la colère suscitée par la déportation au Liban sud de quatre cent quinze Palestiniens proches de l’organisation, en décembre 1992, puis de la politique israélienne des « assassinats extrajudiciaires », en particulier celui du cheikh Ahmed Yassine en mars 2004 et celui d’Abdelaziz Al-Rantissi le mois suivant, dont les portraits sont partout. Sa victoire aux élections législatives palestiniennes de janvier 2006 le renforce également au Liban.
Oum Fadi, proche du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), surprise « comme tout le monde », n’en fut pas moins contente du résultat et de ce qu’il signifiait comme choix « contre la corruption et pour la revendication des droits palestiniens, dont le droit au retour ». Comme beaucoup d’autres, elle ne reconnaît plus Aïn Héloué, où elle a mis au monde ses enfants à une époque où les camps étaient le symbole de l’activité politique et de la construction d’une société palestinienne dans l’exil : « Aujourd’hui, la population est prise en otage par des factions politiques qui règlent leurs comptes. Il y a régulièrement des morts, et les gens ont peur. Mais ils ne veulent pas partir, car le camp est un espace collectif qui symbolise toujours l’attente du retour et la lutte pour nos droits. » Le 1er mai, un membre du Fatah a été tué par un islamiste d’Usbat al-Ansar (Ligue des partisans, groupe salafiste supposé entretenir des liens avec Al-Qaida (3)), venant s’ajouter à une liste déjà longue. Ces affrontements sont autant d’ordre politique que criminel, ils dépassent souvent des enjeux internes, s’inscrivent dans une stratégie de tension – manipulée par différents services secrets – et viennent brouiller les cartes. Aïn Héloué reste le symbole du camp politique où tous les partis palestiniens ont pignon sur rue, véritable capitale des Palestiniens en exil.
« La situation est sensible », dit sobrement M. Abou Ali Hassan, ex-dirigeant d’Aïn Héloué et maintenant en poste à Mar Elias, le petit camp majoritairement chrétien de Beyrouth, où il est responsable des relations avec les partis politiques libanais : « Le désarmement des organisations palestiniennes, exigé par la résolution 1559, adoptée par le Conseil de sécurité des Nations unies en septembre 2004, à l’instigation de la France et des Etats-Unis, constitue un des dossiers de la vie politique libanaise (4). Le gouvernement d’union nationale de Beyrouth a formé un comité chargé de négocier le désarmement des bases installées en dehors des camps, et la réglementation des armes à l’intérieur. Nous travaillons à la création d’une délégation unifiée et à ce que ce dossier ne soit pas traité sous un angle uniquement sécuritaire mais à ce que les résultats fassent avancer nos droits politiques et améliorent la situation humanitaire dans les camps. » La réouverture de la représentation de l’OLP, le 16 mai 2006 à Jnah, dans la banlieue sud de Beyrouth, représente pour M. Hassan un signe politique fort : « Le gouvernement ne veut pas employer la force sur cette question, et c’est surtout la présence armée palestinienne dans une douzaine de bases, dispersées dans la plaine de la Bekaa et dans la localité côtière de Nahmé, à quinze kilomètres au sud de Beyrouth, qui pose problème. »
Dans ce contexte troublé, les déclarations de M. Mahmoud Abbas, le président de l’Autorité palestinienne, lors de sa visite à Paris, en octobre 2005, selon qui les Palestiniens vivant au Liban devaient « se soumettre à la loi » et qu’ils s’y trouvaient en « invités » ont été mal perçues.
Les journaux libanais font régulièrement état d’infiltrations de militants palestiniens de Syrie vers la plaine orientale de la Bekaa, qui ont conduit l’armée libanaise à fermer une quarantaine de points de passage illégaux entre les deux pays et à resserrer son étau autour des positions palestiniennes relevant d’organisations prosyriennes basées à Damas, comme le FPLP-CG, le Fatah-Intifada (une scission du Fatah, conduite par M. Abou Moussa) et Al-Saika (l’aile palestinienne du parti Baas au pouvoir en Syrie).
« Parce que nous avons conduit la résistance armée contre Israël, que nous restons actifs et influents, nous sommes vus comme un obstacle à la paix », commente Nabil, responsable du comité populaire au camp de Baddaoui, près de Tripoli, dans le nord. Avec ses maisons moins encastrées, ses voieries et ses canalisations d’eau refaites, Baddaoui, plus éloigné de la zone du conflit, pourrait sembler paisible ; mais, pour Nabil, la guerre reste une menace : « Les avions israéliens continuent à survoler le Liban régulièrement, du sud au nord et du nord au sud, en toute impunité. » Et puis « Sabra et Chatila resteront à jamais dans nos mémoires : nous avons été massacrés malgré la protection de la force internationale. Les armes dans les camps sont là pour assurer notre propre protection (5) ».
Mais la question des armes fait surtout écran aux conditions de vie et de relégation des Palestiniens. Selon l’UNRWA, les réfugiés palestiniens au Liban seraient, en mars 2006, quelque quatre cent quatre mille dont deux cent vingt mille résideraient dans la douzaine de camps répartis dans le pays. A Beyrouth : Mar Elias, Bourj Al-Barajneh, Sabra et Chatila, Dbaye. Au sud, près de Saïda : Aïn Héloué et Myé Myé ; et de Tyr : Al-Buss, Rachidiyé, Bourj Al-Chemalhe. A Tripoli, au nord : Nahr Al-Bared et Baddaoui. Et à l’Est, dans la Bekaa : Waweel. Il faut ajouter des « regroupements », c’est-à-dire des petits camps-ghettos illégaux, non reconnus par l’UNRWA et ne relevant pas de son assistance. L’armée libanaise maintient sa pression autour des camps, en particulier ceux du Sud, qui abritent quelque cent mille réfugiés, et dont les entrées et les sorties sont contrôlées et soumises à des obtentions de permis. Le Fatah y reste la plus puissante organisation, tandis que dans les camps de Beyrouth, du Liban nord et de la Bekaa les prosyriens ont gardé une importance significative et que partout le renforcement des organisations islamistes est notable, plaçant selon les observateurs Fatah et Hamas au même niveau.
Interdit d’être médecin, architecte...
Selon l’UNRWA, 60 % des réfugiés palestiniens vivent en dessous du seuil de pauvreté, et leur taux de chômage atteindrait 70 %. Il leur était jusqu’à présent impossible d’exercer quelque soixante-douze métiers, hors des camps, interdit d’y introduire des matériaux pouvant servir à la construction, et ils ne peuvent quitter le territoire libanais ou y revenir sans l’obtention d’un visa dont la validité dure au maximum six mois.
M. Trad Hamadé, ministre libanais du travail, proche du Hezbollah, a signé un mémorandum, en juin 2005, en faveur des Palestiniens nés au Liban et inscrits sur les registres du ministère de l’intérieur qui lève en partie l’interdiction de pratiquer un métier. Mais cela ne concerne pas les diplômés palestiniens, qui ne pourront toujours pas exercer la médecine, le droit, l’architecture... Pas un mot, par ailleurs, sur la réforme de 2001 qui avait interdit aux Palestiniens d’acheter des maisons et des biens immobiliers au Liban, entraînant de véritables imbroglios juridiques, notamment en matière d’héritage.
Mme Samira Salah est directrice du département des affaires des réfugiés palestiniens de l’OLP et coordinatrice de la campagne pour les droits des réfugiés palestiniens au Liban et le droit au retour, prévu par la résolution 194 des Nations unies. Pour elle, les dispositions du ministre du travail représentent un progrès, mais ne changeront rien concrètement : « Des propositions avaient déjà été faites en 1995, indiquant qu’un Palestinien né au Liban avait le droit de travailler à condition de disposer d’un permis de travail. mais ce permis reste quasi impossible à obtenir, et la proposition du ministre n’inclut pas l’accès à la sécurité sociale et aux assurances. » Cette campagne a été mise en place début avril 2005 par un collectif qui regroupe vingt-cinq associations palestiniennes, le Conseil national palestinien, le département des affaires des réfugiés de l’OLP et des membres de la « société civile » palestinienne. Elle organise des ateliers de réflexion et des formations au sein de la société palestinienne et veut gagner le soutien de la population libanaise afin de créer un large mouvement de pression politique. Sous le mot d’ordre « Droits civiques jusqu’au droit au retour, ensemble avec les Libanais, nous résistons à l’implantation et à la naturalisation des réfugiés », elle formule quatre revendications principales : droit au travail, droit à la propriété, droit d’association et droit à la sécurité. Ces revendications ne sont pas nouvelles, mais elles n’ont jusqu’à présent jamais reçu de réponse.
Jetés dans l’exil par centaines de milliers lors de la création de l’Etat d’Israël en 1948, les réfugiés sont quelque quatre millions, soit près de 60 % de la communauté palestinienne, et vivent à 90 % dans les territoires palestiniens et les pays arabes limitrophes. Les Palestiniens du Liban (6) cristallisent les enjeux politiques les plus exacerbés aussi bien à l’échelle libanaise qu’à l’échelle régionale. Ils viennent rappeler que l’évolution du conflit israélo-arabe est aussi liée à la solution du problème des réfugiés.
Marina Da Silva.

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